La dictée du Balfroid est, en Belgique francophone, une véritable institution. Depuis plus de 25 ans maintenant, des milliers d’enfants de 6e année primaire ont participé à ce célèbre concours d’orthographe. Or, malgré son succès et les discours récurrents sur la crise de l’orthographe, aucune étude systématique n’a jamais été faite des résultats obtenus. En effet, si on sait que, chaque année, quelques élèves font un sans faute, et que d’autres, pourtant motivés et entrainés par leurs instituteurs, accumulent plus d’une dizaine d’erreurs, on ignore, par exemple, le nombre d’erreurs moyen par élève, et encore plus de quel type celles-ci relèvent. S’agit-il de fautes d’accord ? si oui, de quel type d’accord ? d’achoppements sur les doubles consonnes ou sur les accents ? de problèmes au niveau des lettres muettes, ajoutées ou omises ? de la confusion entre plusieurs graphies possibles pour un même son ? D’autres questions se posent encore : quand un élève commet un type d’erreur, le fait-il systématiquement ? Certaines erreurs sont-elles corrélées ? C’est à toutes ces questions, notamment, que le présent projet de recherche souhaite répondre. Notre objectif principal est de guider la réflexion suivante : quels seraient les points de l’orthographe du français à réformer d’urgence pour permettre aux élèves d’avoir une meilleure maitrise de l’écrit ?
Notre deuxième objectif est de combler une lacune criante en matière de corpus et d’orthographe. Différents travaux consacrés à l’orthographe (Commission Beslais 1965, Chervel et Manesse 1989, Lucci et Millet 1994, Manesse et Cogis 2007, p. ex.) ont certes porté sur d’importants corpus, mais si la recherche actuelle dispose des résultats des analyses, elle n’a pas accès aux données sur lesquelles ces analyses se fondent. En fait, il n’existe, pour le français, pratiquement pas de corpus dans lequel les erreurs orthographiques seraient systématiquement relevées, catégorisées et sur lequel d’autres chercheurs pourraient travailler.
Les retombées de la recherche envisagée seraient donc multiples et concerneraient différents terrains.
Le terrain de la politique linguistique : c’est évidemment sur ce plan que se situe notre principal intérêt, et dans cette optique que nous envisageons l’exploitation de notre corpus. On le sait, l’orthographe du français est particulièrement difficile, et le cout social lié à sa non-maitrise est immense (Klinkenberg 2015). Depuis plusieurs années déjà, le Conseil de la langue française et de la politique linguistique, ainsi que le Service de la langue, réfléchissent, avec d’autres instances francophones compétentes, à des propositions de rationalisation de l’orthographe. On peut citer la publication issue d’une journée de réflexion Penser l’orthographe de demain (Dister et al. 2009), ou encore la proposition conjointe avec le Conseil international de la langue française, le CILF, pour réformer l’accord du participe passé. Les réflexions du groupe EROFA (Etudes pour une rationalisation de l’orthographe française, http://erofa.free.fr/) animé par Claude Gruaz vont dans le même sens : rationaliser l’orthographe afin de permettre au citoyen de se réapproprier le versant écrit de sa langue. Car aujourd’hui, la dernière étude de grande ampleur en France le montre : il y a effectivement une perte de la maitrise du niveau d’orthographe chez les élèves (Manesse et Cogis, 2007). A cela, deux solutions totalement opposées peuvent être envisagées : 1) réintroduire dans les classes la dictée et les exercices d’orthographe comme une vraie discipline à part entière ; 2) réformer l’orthographe. C’est évidemment dans ce sens, celui d’une réforme, qu’ont été formulés les précédents avis du Conseil de la langue française et de la politique linguistique. Réformer l’orthographe figure également dans les résolutions prises à l’issue du Congrès mondial des professeurs de français qui s’est tenu en juillet 2016 à Liège et a rassemblé plusieurs milliers de professeurs de français issus de toute la Francophonie (voir le texte à l’adresse suivante : http://fipf.org/actualite/resolutions, point 3 : Moderniser le corps de la langue).
Ainsi, dans l’éventualité d’une réforme orthographique, une recherche telle que la nôtre, en identifiant les secteurs les plus problématiques (de manière chiffrée et non impressionniste), aiderait indubitablement à orienter les prises de décisions.
Le terrain de la pédagogie : les maitres gagneraient assurément à savoir quelles sont les régularités orthographiques bien maitrisées et celles qui le sont moins ou ne le sont pas.
Références citées
Beslais Aristide (dir.) (1965), Rapport général sur les modalités d'une simplification éventuelle de l'orthographe française, Paris, Didier.
Chervel André et Manesse Danièle (1989), La dictée, Les Français et l’orthographe, 1873-1987. Paris : Calmann-Lévy, INRP.
Cogis Danièle et Manesse Danièle (2007), Orthographe. A qui la faute ? Issy-lesMoulineaux, ESF Editeur.
Dister Anne, Gruaz Claude, Legros Georges, Lenoble-Pinson Michèle, Moreau Marie-Louise, Petit Christine, Van Raemdonck Dan, Wilmet Marc, Penser l’orthographe de demain, Conseil international de la langue française, 2009.
Dister Anne et Moreau Marie-Louise (sous presse). « Le poids de l’orthographe grammaticale et de l’orthographe lexicale dans les dictées », dans L’orthographe : pratiques d’élèves, pratiques d’enseignants, représentations, Presses universitaires de Rouen et du Havre.
Dister Anne et Moreau Marie-Louise (2018). « Quelles sont les performances des élèves qui utilisent l’orthographe réformée? », Congrès mondial de linguistique française, Montréal, juillet 2018.
Klinkenberg Jean-Marie (2015). La langue dans la cité, Bruxelles, Les impressions nouvelles.
Legros Georges et Moreau Marie-Louise (2012). Orthographe : qui a peur de la réforme ? Bruxelles : Fédération Wallonie-Bruxelles.
Lucci Vincent et Millet Agnès (dir.)(1994), L’orthographe de tous les jours, Enquête sur les pratiques orthographiques des Français, Paris, Champion.
Manesse Danièle et Cogis Danièle (2007). Orthographe : à qui la faute ? Issy-les-Moulineaux : ESF éditeur.
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